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Un pistolet expérimental en 9 mm Largo attribué à Corominas

Le Nord de la Catalogne Espagnole a toujours été un centre industriel notamment avec la ville de Ripoll qui fut un centre de production d’armes réputé depuis le moyen âge, et d’armes à feu depuis le XVIIe siècle. La présence proche du gisement de fer des mines du Canigou à quelques dizaines de kilomètres au nord dans les Pyrénées Françaises ne doit pas être étrangère au développement des industries métallurgiques dans cette région. En effet, le transport de minerai sur des grandes distances étant problématique avant l’invention du chemin de fer, il était toujours judicieux de placer les forges près des lieux d’extraction.

La guerre d’Espagne comme contexte

Dans la « Comarca » (équivalent de nos cantons) de Garrotxa dont le chef-lieu est la ville d’Olot (à une trentaine de kilomètres de Ripoll) un armurier passionné de mécanique du nom de Miguel Corominas y Frigola (1908 – 1977) tenait échoppe dans la rue St Rafael. Notons d’ailleurs qu’au moment où nous écrivons ces lignes, le maire d’Olot est Josep M. Corominas, un probable descendant de cet armurier ! Miguel Corominas y Frigola était un personnage de haute stature, taiseux et austère : les habitants du bourg l’appelaient « San Pau ». Il était spécialisé dans les bronzages et les réparations d’armes de chasse, et c’est tout naturellement qu’il fut mobilisé – probablement en 1937 – dans la fabrique n°15 (Fabrica nr 15). Le gouvernement Catalan (Républicain) avait été obligé – vu la pénurie criante d’armement – de créer la Comissió d’Indústries de Guerra ou CIG(Commission des Industries de Guerre), dirigée par Josep Tarradellas. Cette commission était chargée d’unifier et surtout de coordonner les divers ateliers sous la direction du puissant syndicat de la métallurgie (C.N.T.). L’idée était de rationaliser les fabrications. Sitôt l’insurrection nationaliste de juillet 1936, ces ateliers avaient été réquisitionnés et mis en gestion sous le régime de la collectivisation. Ils fabriquaient des armes, des munitions et des véhicules blindés.

Le grand frère Russe vendit plus tard des quantités incroyables d’armement et d’équipement à la république Espagnole. Surtout lorsque 460,5 tonnes d’or fin venues des stocks de la banque centrale espagnole aux mains des républicains furent envoyées à Moscou ! La valeur nominale d’un tel butin atteignait 518 millions de dollars de l’époque. La mise en vente de cet or commença en février 1937 et se poursuivit jusqu’au 28 avril 1938. Selon une étude du professeur Angel Vina, en échange de 426 tonnes d’or fin, le gouvernement républicain perçut :

  • 245 millions de dollars
  • 42 millions de livres
  • 375 millions de francs.

Grâce aux devises ainsi obtenues, le gouvernement républicain acheta pour 132 millions de dollars de matériel de guerre à l’U.R.S.S. . Le solde fut transféré sur un compte que le ministère des Finances républicain avait ouvert dans une banque parisienne : la « Banque commerciale pour l’Europe du Nord ». Sous contrôle soviétique, cette banque effectuait les paiements internationaux de la République tout en surveillant jalousement le magot !

La Fabrica nr 15

Une usine d’assemblage d’armes – la Fabrica nr 15 (fabrique n°15) – se trouvait Rue Panyo. Elle assemblait dans ses murs les pièces détachées produites dans une multitude de petits ateliers d’Olot et de ses environs. Ces ateliers fabriquaient en sous-traitance les pièces permettant d’assembler des armes légères comme l’excellent P.M. Labora-Fontbernat (en 9×23 Largo – Photo 3), des cartouches et des grenades. On trouve d’ailleurs (dans le monde obscur des pyrothécophiles ou « collectionneurs de cartouches ») assez facilement des cartouches de 9×23 Largo estampées « G.C.I.G. nr 15 ». (Generalitat de Catalunya Industrias de Guerra). Ce marquage signait ainsi la production de la fabrique n°15 D’Olot. Il se traduit par « Gouvernement de Catalogne Industrie de Guerre ».

Dans l’atelier de rayage des canons, l’examen des nombreuses chutes trop courtes pour l’emploi dans la fabrication des PM Labora a dû donner à Corominas l’envie d’en faire quelque chose. Les barreaux servant à fabriquer les canons rayés étant de forts diamètres pour éviter toute torsion lors de l’usinage, l’idée d’usiner dedans le boîtier de culasse a dû ainsi germer dans l’esprit de l’ingénieux armurier.

Vu la pertinence de certaines solutions techniques employées pour la fabrication de ce pistolet très original, on devine bien que nous avons ici affaire à une arme d’étude dont toutes les parties constitutives n’ont pas encore été améliorées. Pourtant vu la grande simplicité de l’ensemble, la maitrise du sujet par Corominas est évidente. Car n’oublions pas qu’en matière d’armement la simplicité est un aboutissement et non pas un commencement ! Le boîtier de culasse et le canon sont usinés dans la masse dans une chute de canon brut directement sortie du banc à rayer puis usinée. Notons qu’il s’agit également de la solution retenue aussi par les frères Feederle – ingénieurs de chez Mauser – ayant inventé le C96. Le logement de la culasse est usiné directement par tournage et fraisage dans la masse du tube, ce qui permet d’obtenir une cohésion et une rigidité optimum et un alignement parfait entre la culasse et le canon. Cet ensemble rigide est ensuite astucieusement soudé sur un puits de chargeur. Cette dernière partie contient à l’arrière un mécanisme traditionnel comprenant un chien interne, une sûreté (bloquant l’abattu du chien), une gâchette et un ressort placé verticalement derrière le logement de chargeur. Ce ressort commande à la fois et le poussoir du chien et l’arrêtoir de chargeur comme sur un pistolet Ruby (Photo 4). Une cassette pontet contenant la détente est ensuite rapportée à l’emplacement traditionnel comme dans un pistolet classique.

Suite à la soudure de l’ensemble « boîtier de culasse – canon » et du puits de chargeur, le cordon de soudure est soigneusement relimé, poli et ensuite bronzé au sel, ce qui donne à l’ensemble un aspect noir brillant du plus bel effet. Cela permet aussi de déceler la trace de la soudure, car la particularité du bronzage au sel par rapport au bronzage à la couche est de prendre la couleur de manière différente selon la nuance d’acier présentée à sa morsure (Photos 5 et 6). Or le métal d’apport de la soudure à l’arc n’a pas la même teneur en carbone que les deux pièces soudées : il en résulte donc une différence de teinte au niveau de la jonction.

Une particularité remarquable aussi est le fait que – sauf erreur de ma part – c’est la première fois dans l’histoire que ce mode de construction et d’assemblage est employé en armurerie ! Le tout quelques années avant la généralisation de l’emploi de la soudure électrique comme sur les PM Sten. Ainsi, Corominas fut un précurseur dans le domaine : le fait de souder les deux sous-ensembles à l’autogène (oxyacétylénique) aurait obligé l’artisan à monter la température des pièces à plus de 850 degrés ce qui aurait eu pour effet en brûlant le carbone de l’acier de modifier la dureté du métal et de provoquer un voilage important des ajustements lors du refroidissement. L’emploi de la soudure électrique évite de trop chauffer, et permet si l’ouvrier soudeur maitrise sa technique, d’obtenir une cohésion moléculaire parfaite sans bulles ni laitier risquant de générer des amorces de rupture.

Examen de l’arme

L’arme est donc fabriquée en acier usiné dont certaines parties sont assemblées par soudure. Les surfaces extérieures ont ensuite été polies. On note que la culasse et la cassette de pontet sont moins soigneusement finies (traces d’usinage). Certains usinages sont réalisés par une succession de perçage et finalisés par un travail au burin (Photo 7). Toutes ces pièces ont été bronzées au sel après un lustrage au touret à polir. Les détentes, sûretés, arrêtoirs de chargeur et le chargeur lui-même sont polis brillants. Le chargeur à simple colonne est d’une capacité de 8 coups (Photos 8 et 9). Les plaquettes sont en noyer blond lisse. Elles sont fixées par deux vis à tête fraisées montées sans rosettes. Le canon d’une longueur de 100 mm possède 4 rayures à droite. On note que la chambre est bien usinée et le « freebore » usiné avec soin (Photo 10). Le guidon et le pied de guidon sont usinés dans la masse. On note d’ailleurs que le guidon possède un ajustage asymétrique qui semble témoigner d’une volonté de réglage (Photo 11). Le cran de mire est réalisé par le biais de l’empreinte de vis permettant l’assemblage de la culasse (Photo 12). L’arme ne porte aucun marquage ni poinçon d’épreuve et aucun numéro de série. Son poids est de 900 grammes.

On remarque sur la culasse deux butées verticales qui sont usinées dans la masse de part et d’autre (Photos 13 et 14). Elles limitent la course de la culasse en prenant appui sur deux butées réalisées dans le boîtier de culasse (Photo 10). Elles évitent ainsi que la culasse ne puisse être éjectée vers le visage du tireur en cas de problème…comme par exemple la rupture de la vis permettant l’assemblage de la culasse et dont les dimensions paraissent bien minces face à l’énergie en jeu !

L’arme tire à culasse non-calée. Ainsi, le retard à l’ouverture est assuré par la masse de la culasse mais aussi par la pression nécessaire pour ramener le chien en position armée. Cette dernière disposition – commune sur les armes employant un chien – offre en effet l’avantage de multiplier la force du ressort de chien sur les premiers millimètres de déplacement de la culasse. Perceptible même lors de la manipulation de ce type d’arme, le phénomène provient de l’effet « levier inversé »! Le ressort récupérateur, lui se cantonne à assurer un rôle d’amortisseur et surtout à raccompagner la culasse en position avant.

L’éjecteur fixe est monté sur la boîte de culasse (Photo 10 et 15). Pour générer le tir semi-automatique, la séparation (action de déconnecter la gâchette de la détente) est induite par l’abaissement de la barrette de liaison en fin de course de la détente. Cet abaissement est réalisé par l’usinage d’une rampe sur le flanc droit du puits de chargeur (Photos 16 et 17). Ainsi, abaissée, la barrette passe sous la gâchette : il est alors nécessaire de relâcher la détente pour réinitialiser la connexion nécessaire à la reprise du tir en semi-automatique. La séparation est donc indépendante du mouvement de la culasse contrairement à une grande partie des armes de poing semi-automatique : P.08, Colt 1911, C96… Ceci relève très clairement d’une volonté de simplification, cette disposition permettant de limiter le nombre de pièces constitutives. En revanche, certains pourraient objecter ici qu’il n’y a aucune disposition de sécurité évitant l’abattement du chien si la culasse n’est pas en position de fermeture. C’est vrai, mais il reste la sécurité liée à la géométrie des pièces de l’arme : si la culasse n’est pas en position de fermeture et que l’extracteur n’a pas encore engagé sa griffe dans la gorge de l’étui, alors le percuteur n’a tout simplement pas accès à l’amorce de la munition !

L’armement de culasse se fait par la préhension des stries présentes à l’arrière. Le verrou du chargeur se trouve à la base arrière de la poignée. L’arme porte un petit levier de sûreté sur le flanc gauche de la carcasse (Photo 18).

Le démontage « de campagne » s’effectue par dévissage de la vis dont la tête est usinée en forme de cran de mire de circonstance. Cette dernière est vissée dans le boîtier de culasse, sa partie inférieure servant de surface d’appui au ressort récupérateur. La partie inférieure de cette vis/hausse comporte un plat destiné à indexer le cran de mire (Photo 19). Cette indexation se fait grâce à l’appui du ressort récupérateur. Lorsque la vis/hausse est déposée on peut retirer la culasse : il faut pour cela encore lui faire effectuer une rotation à 90° afin de désaligner les tenons « de sécurité »de la culasse des butées réalisées dans le boîtier de culasse. Une fois la culasse déposée, on peut retirer les deux vis présentes sur face arrière de la culasse :

  • La vis supérieure libère l’accès au ressort récupérateur.
  • La vis centrale libère l’accès au logement du percuteur.

Pour démonter le percuteur, il est nécessaire de dévisser une vis d’arrêt présente sur le flanc droit la culasse. L’extracteur à lame semble être arrêté dans son logement par une goupille traversant la culasse (Photo 20). Le démontage de cette partie n’a pas été réalisé, de peur d’endommager cette arme ô combien rare.

Les autres éléments de l’arme sont également assemblés par des goupilles. Ici aussi, dans le but de ne pas endommager cette arme – quasiment unique – nous avons limité le démontage aux éléments se retirant sans difficulté.

Essai au tir

Des traces d’encuivrage dans le canon témoignent que l’arme a été utilisée et donc prouvent par là même que l’on peut tirer du 9×23 Largo dans une arme de poing à culasse non calée ! C’est en grande partie la présence de cet encuivrage de bon aloi qui m’a incité à essayer ce prototype ! On se souviendra que sur les pistolets Astra 400 ou dans leurs avatars Républicains comme le « RE » ou « l’Ascaso », le tir s’effectue aussi à culasse non calée. Mais il faut vraiment avoir bien déjeuné pour armer ce genre de pistolets, la force du ressort récupérateur positionné autour du canon étant véritablement très importante. Ces ressorts récupérateurs assurent d’ailleurs un amortissement très efficace du mouvement arrière de la culasse, ce qui est sécurisant. Ici, rien de tel, l’armement de la culasse est d’une facilité déconcertante !

Lors de notre essai au tir, nous avons pu constater que la prise en main est bonne (Photo 21). L’alimentation est sans reproche, le départ doux, net et agréable. L’éjection est franche et l’étui est projeté à au moins 5 mètres. Le recul est important et assez violent. De plus, vu la forme du pontet, l’index est assez violemment heurté par l’arcade de pontet. Enfin, comme la carcasse est étroite, la sensation dans la paume de la main n’est pas agréable. La percussion est assez faible et sur un chargeur de 8 coups nous avons constaté quand même 5 ratés de percussion.

Une arme rare et de circonstance

Malgré d’intenses recherches seuls trois exemplaires semblent être connus. Un exemplaire est doté d’un chargeur marqué « Fontbernat-Olot ». Il s’agit d’ailleurs du seul marquage ayant permis de deviner la filiation Catalane du pistolet ! Un exemplaire semble se trouver au musée militaire espagnol de la Coruna, sans identification certaine de la provenance puisqu’il est attribué à cet arsenal. On note que cet exemplaire semble employer un chargeur de P.08.

On peut comparer les armes de cette période critique aux armes de nécessité que de tout temps, les nations au bout du rouleau ou soumises à embargo par un adversaire de force supérieure ont toujours réussi à fabriquer en développant des solutions ingénieuses et peu coûteuses. On peut ainsi penser aux armes fabriquées par les États Sudistes pendant la guerre de sécession, à celles produites par le gouvernement de la défense nationale en 1871 pour repousser les Prussiens, à celles du Volkssturm développées par une Allemagne Nazie aux abois et bien sûr aux armes produites en Catalogne pendant la guerre civile Espagnole dont un exemple vient de vous être présenté ici !

Gil Sigro y Peyrousère

Merci à Jean-Pierre Bastié pour son aide dans l’identification de l’arme.

Pour les détails sur la munition :

https://municion.org/producto/9-x-23-bergmann-bayard-largo/

Bibliographie:

  • PISTOLA CALIBRE 9 mm. Largo., PROYECTO DE LAS INDUSTRIAS DE GUERRA DE CATALUÑA (¿?) Juan L. Calvó Enero, 2009
  • La industria de guerra a Catalunya (1936-1939) l’obra de la comissio creada per la generalitat, i el seu report d’actuasio. Pages editors.
  • Tarradellas y la industria de guerra de catalana (1936/1939) Javier de Madariaga. Edition Milenio.
  • ASTRA Automatic Pistols, Leonardo M. Antaris, Colorado USA, 1990.
  • STAR Firearms, Leonardo M. Antaris, Davenport USA, 2001. “La Industria Armera Nacional, 1830.1940. Fábricas, Privilegios.
  • Patentes y Marcas”, Juan L. Calvó, Eibar, 1997 “Revólveres y pistolas en las FF.AA. Españolas, 1855-1955”, Juan L. Calvó, Barcelona,
  • PISTOLAS Y SUBFUSILES DE LA REPÚBLICA. PRODUCCIÓN DE GUERRA. Josep Mª Abad, Manuel Estirado y Francisco Fuentes .
  • Los autores, 2013 ISBN    8461666720 9788461666720
  • www.municion.org

Collection personnelle.

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    Gilles Sigro-Peyrousère

    Armurier diplômé de l'école de d'Armurerie de Saint-Étienne, Gilles est avant tout un passionné d'histoire, d'armes et de militaria. Armurier à son compte depuis plus de 30 ans, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse en armes anciennes, il expertise de nombreuses collections pour des ventes aux enchères partout en France.

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