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Un Homme Libre

Les circonstances extraordinaires révèlent l’homme à lui-même. Sortant de la vie quotidienne, mais qui est peut-être le plus dur des combats, peu d’entre nous vont s’engager pour une cause autre que celle de gagner son pain quotidien ou s’occuper de sa famille. Un conflit généralisé révélateur met chacun en face de son destin. Certains le prenant à bras-le-corps au risque de leur existence, choisissent alors un camp en s’offrant corps et âme. Traversant l’épreuve de la guerre puis celle plus insidieuse du temps, il reste des témoins de cette aventure humaine parmi la plus troublée. Si certains peuvent choisir le combat de l’ombre, d’autres vont trouver dans le ciel, un champ d’honneur à leur dimension pour s’exprimer.

Témoin

Né le 11 Août 1921 à Fort de France en Martinique, Michel de Reynal de Saint Michel s’engage à Londres dans les Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL) le 21 Août 1941, sous le numéro de matricule FAFL 30.815 (Photo 1). L’Allemagne en pleine ascension après avoir bousculé les démocraties occidentales s’est lancée vers l’Est dans une victorieuse bataille d’anéantissement. Affecté le jour même à l’école de pilotage, il en sortira breveté pilote d’avion N°243 GB le 23 janvier 1943 au grade de sergent. Mais la partie n’est toujours pas jouée (Photo 2).

De formation littéraire avec un « bac philo », rien ne semble prédisposer Michel Reynal à la carrière scientifique d’ingénieur entreprise après la guerre à l’École nationale Supérieure d’Électrotechnique et d’hydraulique de Toulouse qui depuis 1907 forme des ingénieurs au plus haut niveau. Trois ans et demi en Australie participant au programme d’installation hydraulique (Snowy Mountains Authority) puis 35 années chez Michelin dont 11 aux USA vont remplir une vie active. Entendant l’appel du général de Gaulle et désireux de rejoindre les Forces Françaises Libres : la Bataille d’Angleterre « m’a fait rêver ». (Photo 3) Une fois sur place, l’occasion de devenir pilote se présente. La formation débute immédiatement, 15 mois de formation pour voler sur « Tiger Moth » et un premier vol en rase-mottes « absolument grisant » vont s’enchainer sur Boeing T-6 puis Miles Master britannique avant de dompter le célèbre Spitfire servi au cours de cette période de guerre (type I, II V IV et XVI). Écoutons-le. (Photo 4)

Les Hommes

« J’ai le plus grand respect pour la RAF, son organisation, sa compétence, son sens de l’humour, son calme et son « understatement », au sens littéral « euphémisme », sinon le fait d’adoucir par le propos une dure réalité. La population civile, très accueillante, patriote, avec le sens de l’humour dans les pires circonstances. Très peu de … marché noir (!). Les Allemands forcément mal vu à l’époque, après les bombardements sur l’Angleterre ? Je n’avais pas d’opinion personnelle, mais je partageais l’opinion générale ».  (Photo 5)

« À de très rares exceptions près, les rapports entre pilotes étaient excellents et s’amélioraient de plus en plus avec le temps et le nombre d’opérations effectuées. Ambiance très décontractée dans le Dispersal, nous volions souvent avec un accoutrement civil pour le cas où nous serions descendus en territoire français. Je me souviens encore du Commandant Fournier admiratif devant une chemise absolument délirante que j’arborais fièrement : « de Reynal, vous avez un bien beau pyjama ». Pour le service et le vol : discipline d’autant plus stricte qu’elle était volontaire. Mon cousin René avec lequel j’avais quitté clandestinement la Martinique, a été mitrailleur sur B-25 au groupe Lorraine. Je crois qu’il a eu sensiblement la même ambiance dans son squadron, ambiance qu’il a probablement améliorée encore, car il était très porté sur la plaisanterie. Je n’ai pas eu de rapport avec Normandie Niémen. J’ai juste rapidement connu Monier dit « Trompe la mort » avec lequel j’ai eu un accident qui a motivé sa mutation à ce groupe de chasse. C’était un excellent pilote de chasse qui a eu quelques accidents spectaculaires et qui s’est couvert de gloire en Russie ».

À propos de René Mouchotte, figure des FAFL abattu en mission le 23 août 1943 : « Je l’ai très peu vu durant mon court passage au groupe Alsace. J’avais été amené devant lui parce que ma bicyclette ayant été fauchée au mess, peut-être par erreur, j’avais pris une autre bicyclette au hasard pour rentrer à temps au Dispersal. C’était en théorie un « délit ». Mouchotte a seulement souri en levant les épaules ». (Photo 6)

Les machines

À propos du Spitfire : « J’ai eu la chance de faire deux vols le premier jour. C’était un avion délicieux à piloter surtout le Spit 1 qui avait une puissance raisonnable. C’était aussi l’opinion des Allemands qui avaient pu s’en procurer un exemplaire abandonné en France à la débâcle. Après l’OTU (dernière école de pilotage), j’avais été affecté au groupe Alsace installé à Biggin Hill où j’avais pu essayer le dernier modèle, le Spit IX LF. Mon désespoir a été grand quand, le groupe ayant trop de pilotes, j’ai été muté à Île-de-France alors en reformation en Écosse, près d’Ayr. (Photo 7)Mon premier vol sur un vieux Spit V s’est vite terminé : panne de moteur au décollage. J’ai eu la chance de me poser sur le ventre dans un petit champ labouré entouré de murs. Dégâts minimes pour l’avion, mais il fallait aller chercher un remplaçant près d’Édimbourg. Le surlendemain je suis monté comme passager dans un Tiger Moth piloté par Monier en rase-mottes intégral. J’étais dans la place avant et j’ai vu la ligne à haute tension, mais je n’ai pas pu réagir, car je pensais que Monier voulait passer dessous. Choc spectaculaire. Monier s’est seulement mordu la langue, mais j’ai été porté à l’hôpital pour choc et une vilaine blessure au genou qui a pris 7 semaines à guérir ».

« Mon second accident a eu lieu fin 1944 à Biggin Hill où Île-de-France avait été mis au repos après l’engagement en  Hollande. Nous avions des Spit IX HF capables de voler à plus de 40 000 pieds (12 000 m). Nous escortions en « Top cover » des B-17 américains au dessus de la Rhur. Pour ne pas perdre la main, nous allions parfois tirer sur des cibles au sol à l’embouchure de la Tamise. Après un de ces tirs, je vois que ma pression d’huile est à zéro. Je « téléphone » que je vais essayer de me poser sur un aérodrome proche, mais en chemin, salade de bielle. Après avoir fait le nécessaire, je me présente pour atterrir dans un petit champ bordé d’arbres. Je me suis réveillé 3 jours après à l’hôpital de Canterbury. Je n’avais strictement rien et je me suis levé pour aller aux toilettes, suivi par une foule d’infirmières. Quant à l’avion, il paraît qu’il avait perdu ses ailes et que le fuselage avait fait plusieurs tonneaux. L’enquête a trouvé que le radiateur d’huile avait été perforé par une branche d’arbre, pas de ceux du terrain de l’accident. Comme je n’avais pas fait de rase-mottes, la question reste posée …». (Photo 8)

« Je suis arrivé en opération à un moment où la supériorité était déjà établie. Les Me 109 et Fw 190 attaquaient par surprise et ne cherchaient pas le combat. Je crois que c’est surtout la manœuvrabilité du Spitfire qui les impressionnait : il leur fallait agir par surprise. C’est à partir du Spit IX LF, je crois, que c’est arrivé. Avant cela le Spit tenait le Me, mais le Spit V a eu des problèmes avec le Fw ». (Photo 9)

« Mon premier vol de combat était un SWEET en Spit V, entrée en France  par Cherbourg. Nous étions alors stationnés à Perranporth en Cornouailles et nous étions regroupés avec d’autres squadrons de la RAF à Church Staton. La chasse allemande ne s’est pas réveillée, heureusement pour moi, car mon moteur s’est mis à bafouiller et je suis resté longtemps à la traîne derrière le groupe avant de pouvoir le rattraper. Par la suite tant que nous avons fait de la chasse pure, nous avons été déçus par les Allemands que l’on ne voyait pratiquement pas quand nous escortions les bombardiers. Ils sortaient parfois des nuages et repartaient vite par le même chemin quand nous leur faisions face. La seule fois où je les ai vus de près, a été quand deux des bombardiers que nous escortions en Allemagne sont restés à la traine de la formation. Nous avons envoyé deux chasseurs pour les escorter et ils se sont fait attaquer par 12 Me 109. Notre groupe s’est intéressé à l’affaire et le colonel Sammy Sampson a eu un « Me » et moi un autre, mais seulement probable car j’avais oublié de brancher ma caméra. Le commandant Massard s’est fait descendre, mais il a sauté en parachute et j’ai eu le plaisir de déjeuner avec lui après la guerre ». (Photo 10)

« Je n’ai eu qu’un seul combat un peu prolongé où j’ai vu un « Me »me tirer une longue rafale pointé directement sur moi à 90 ° sans tenir compte de ma vitesse : je me sentais en parfaite sécurité. Je crois que les pilotes allemands manquaient d’entrainement à la fin de la guerre probablement par manque de carburant pour les écoles. Les pilotes de la RAF étaient bien entrainés et disposaient de collimateurs gyroscopiques qui permettaient de toucher le but dans tous les cas. Il faut aussi noter que le comportement du Spit était irréprochable en virages serrés près du sol. Il n’en était pas de même pour le FW 190 : c’est pour cela que les pilotes allemands lui préféraient le Me ».

« Notre état d’esprit était excellent, seulement un peu déçu par le manque de partenaires du côté allemand. Par contre, l’attaque au sol s’est révélée passionnante. Il y avait bien la DCA (20 mm quadruple), mais c’était la chasse au trésor : locomotives, camions, autos, motocyclistes, …. Il y avait aussi les bombardements en piqué ou en rase-mottes. (Question de l’auteur : Quid de l’usage d’amphétamines ?) Pourquoi faire quand on est jeune, la fatigue passe vite et les excitants sont dangereux quand il faut du calme et de la précision ». (Photo 11)

Les rencontres dans le ciel : « les bombardiers US B-17 et B-24 impressionnants de détermination. Les Lancasters et Halifaxs de la RAF peints en noir mat intimidants à escorter en plein jour, les Mosquitos de la RAF incroyablement rapides. Le Gloster Meteor avec lequel nous avons fait un « dog fight » pour expérience, très rapide mais facilement défait en virage, c’est ce qui s’est vérifié avec le Me 262. Les Spitfires en ont descendus un plus grand nombre que la réciproque ». (Photo 12)

Entre deux vols (souvenir marquant) : « C’était à l’époque où nous escortions en top cover les B 17 américains sur la Rhur. Nous avions le Spit IX HF qui pouvait voler très haut, mais qui n’avait que  85 Imp. Gallons (385 litres) d’essence. Nous emportions donc un réservoir supplémentaire de 90 Imp. Gallons (408 litres) que nous devions larguer en cas de combat, mais qui retardait le décollage et rendait l’avion difficile à piloter. Nous partions la veille au soir de Biggin Hill pour nous poser à Manston près de Canterbury situé aussi près que possible de la France. La piste de décollage était large et longue servant à recevoir les bombardiers avariés rentrant de mission. Le matin à l’aube ce jour-là, nous décollons donc à 12 de front, profitant de la largeur de la piste, pour gagner du temps sur le regroupement avec les autres chasseurs (australiens) qui étaient de la partie. Le temps était légèrement brumeux, mais à environ mi-parcours nous voyons venir en face 12 spits identiques aux nôtres. Que faire ? Nous étions lancés tous les deux et il était impossible de s’arrêter avant le choc. Nous avons donc continué, nous en dessous, eux au dessus, mais c’était proche ! … cela aurait fait un feu de 19 032 litres d’essence. Il m’arrive encore d’y penser ».

JOUR J

« Nous avons été mis au courant dans l’après-midi du 5 juin avec défense de quitter la base. Les avions avaient été marqués de bandes blanches 1 ou 2 jours avant et n’avaient pas volé depuis (Photo 13). Nous étions très excités avec la perspective de descendre beaucoup de « Huns ». Réveillés à 3 h nous avons décollé au très petit matin. Spectacle inoubliable ! Masse des navires de guerre, de péniches de débarquement, de planeurs ouverts et vides dans les champs. Les flammes s’échappent des cuirassés bombardant les forteresses allemandes. Par contre pas un avion ennemi, nous avons seulement été attaqué 3 fois par un Mustang probablement américain. Chaque fois branle-bas de combat, le Mustang tournant les talons, puis une voix anglaise, très calme : « that was the third time he attaked me, I had to shoot him down ». Je n’ai jamais pu savoir ce qui s’était, peut être, passé, mais plus de Mustang ». (Photo 14)

« L’après-midi, je suis retourné au-dessus du Débarquement, comme ailier du Colonel (Wing Commander) « Sailor » Malan, le premier As anglais de la guerre. Le ciel était obscurci de planeurs remorqués par des Lancasters. Pas de chasse ennemie. Le matériel commençait à débarquer en zones limitées. Les jours suivants, nous faisions régulièrement la garde au-dessus du débarquement de jour. Un essai a été fait la nuit, très éprouvant pour nous, malgré le dispositif de fortune pour cacher les flammes des échappements. Nuages et pluie, atterrissage sur une autre base à minuit. Après plusieurs changements de base et notre installation sous la tente, nous avons finalement atterri en France, le 9 juillet 1944, pour rentrer le jour même en Angleterre. Après cela, nous avons commencé le travail de chasseur / bombardier à partir de B 8 (Bayeux), B 29 (Bernay), B 55 (Courtray). Après « repos » à Biggin Hill. Retour en chasse / bombardement à B 85 (Hollande) avec Spitfire XVI le 1e Février 1945 et enfin B 65 (Lingen Allemagne) le 16 Avril 1945 ». (Photo 15)

« Les personnalités marquantes pour moi : Bernard Trouillet, Claude Rosa, Félix Lagarde, Christian Chapman, LT Guignard, Cdt Massart, Cdt Hardy, Cdt Fournier, Group Captain « Sailor » Malan, Wing Commander Alan Deere, Wing Commander Sammy Sampson. Je n’ai pas vu les généraux Valin et d’Astier de la Vigerie et n’ai guère pensé à eux. À la Libération, l’état d’esprit pour moi était très mauvais. Le surlendemain de l’Armistice on m’a ramené d’urgence à Paris sous le prétexte que l’étais en retard pour un repos. J’ai été débarqué dans une caserne de « résistants » à Neuilly sans un sou d’argent français. Plus tard, heureusement j’ai été hébergé par une cousine à Paris en attendant mon retour à la Martinique. Je ne m’attendais pas tellement à survivre et j’étais inquiet pour l’avenir ? Je n’ai pas vécu la Libération de Paris, mais je pense que la joie a été plus grande que lors de l’armistice qui se passait longtemps après dans un pays étranger. J’avais une admiration sans faille pour le général de Gaulle pendant toute la guerre. Nous déplorions  seulement qu’il soit entouré de gens moins recommandables. Après la guerre, avec les accords d’Evian et l’épisode des pieds noirs et des Harkis, j’ai l’impression très nette qu’il est tombé, par orgueil, entre les mains de gens encore moins recommandables ». Photo 16)

 À propos de l’époque actuelle: « À en croire les mémoires de Winston Churchill, la guerre de 39-45 aurait pu être évitée, mais peut être pas pour longtemps. De toute façon la faiblesse de notre Défense ne pouvait qu’attirer la foudre. Je ne crois pas que nous ayons compris la leçon. En plus, l’immigration plus ou moins contrôlée affaiblirait notre volonté de combattre. Conclusion : avec notre type de gouvernement, pas grand-chose à espérer. La résignation s’impose ». (Photo 17)

Que dire ?

Il ressort de ce témoignage personnel le fait que peu de choses étaient à dire selon les termes d’un pilote se voulant anonyme parmi « tant » d’autres. Avec 181 missions de guerre en 281 heures de vols opérationnels, cinq citations (étoiles d’argent, de bronze, deux palmes, une étoile de vermeil) sur la croix de guerre  39-45, la Médaille militaire, la Légion d’honneur, la Médaille de la Résistance et des évadés ainsi que la Distinguished Flying Medal seront closes avec l’Ordre National du Mérite pour son engagement actif dans la Réserve jusqu’en 1969 où il est rayé des contrôles le 1e janvier, continuant de voler sur avion à moteur à piston. Nos Anciens ont toujours une façon bien à eux pour évoquer leur engagement, celle de dire qu’ils ont fait leur « boulot » ou ce qu’ils jugeaient juste de faire ou ramené par eux à « pas grand chose ». Rester en vie. Une simple tâche à accomplir. Obéir. Que pouvons-nous faire alors pour dire simplement merci ? Écouter, comprendre et surtout transmettre. Bien peu en regard de ce qui a été fait. Le Mal s’appelle l’oubli. Bon vol !

Commandant René Mouchotte (testament / fragment) « Si le destin, ne m’accorde qu’une courte carrière de commandant, je remercierai le ciel d’avoir pu donner ma vie pour la Libération de la France. Qu’on dise à ma Mère que j’ai toujours été heureux et reconnaissant que l’occasion m’ait été donnée de servir Dieu, mon Pays et ceux que j’aime et que, quoi qu’il arrive, je serai toujours près d’Elle ». (Photo 18)

Michel de Reynal de Saint Michel a pris son dernier envol le 15 Août 2021 à 9 h 30, jour de l’Assomption (du latin ascendere … s’élever !). Le colonel de l’escadron de chasse d’Orange à bord d’un Mirage 2000 est venu assurer sa couverture haute en faisant deux passages pour une croix tout aussi bruyante qu’impressionnante au dessus de l’église lors de la mise en terre. L‘Armée de l’Air n’oublie pas ceux qui ont fait son histoire.(photo 19)

Pierre Breuvart

Pendant le « con-finement », Michel de Reynal a dessiné les plans d’un moteur de son invention …

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    Pierre Breuvart

    Tireur. Collectionneur. Militaire de formation. Retraité après 22 ans de service. Réserviste Gendarmerie Nationale (Instructeur tir toutes armes).

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