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Le Damas du Comminges à l’aube du XXIème siècle

Notre vieil ami et complice Alain Pons, autodidacte (de génie), eut l’idée un jour en voyant d’un côté la forge de ses aïeux endormie sous son hangar, et d’un autre côté, un tas d’excellent acier et ressorts issus de diverses épaves agricoles et aratoires, d’essayer de forger des lames de couteaux pour tester un peu son habileté et voir s’il pouvait arriver à faire quelque chose de ces encombrants déchets industriels !

Après quelques essais préparatoires destinés à tester son habileté, la barre fut placée délibérément haut à l’imitation des maîtres japonais et plus anciennement encore des forgerons du haut moyen-âge. Il fut donc décidé de tenter la réalisation d’un acier Damas de corroyage en alliant intimement deux nuances d’acier à teneur en carbone éloignée, à savoir un acier mou et souple à faible teneur en carbone et un acier plus dur mais donc plus cassant de manière à obtenir une lame à la fois solide et relativement flexible (Photo 02).

Un premier essai fut rapidement lancé, et un lopin d’acier soudé sur un fer à béton élevé au rang de traînard (la fonction du traînard étant de tenir éloigné de la main de l’artisan la trousse ou le lopin chauffée à blanc !) fut bientôt porté sur un feu consumant un mélange de cokes ayant préalablement été dégazés et de charbon de bois. L’expérience commence (Photo 03).

Les dieux tapis dans le charbon sous la morsure de la flamme s’activent et bientôt le lopin que l’on présente à leur voracité voit sa température atteindre le seuil magique des 850 degrés, seuil où la dureté de la matière doit céder sous les chocs répétés du marteau et se laisser former à la guise du forgeron ! (Photo 04) La ferraille épaisse est domptée et se transforme en une subtile substance docile et malléable au gré du maître de forge ! Cet instant est fugace, et bientôt le lopin se refroidit et recommence à résister. Le son qu’il rend sous les coups est de plus en plus cristallin : là est le signal qu’il faut le reporter au feu et le présenter à nouveau aux flammes pour pouvoir continuer à le corroyer !

La même opération est pratiquée sur un morceau d’une autre nuance d’acier, puis les deux lopins sont torsadés sur eux-mêmes un nombre compté de tours et les deux pièces soudées côte à côte. (Photo 05) La force du feu est augmentée grâce à un important apport d’oxygène par l’emploi du soufflet à manivelle d’un côté et d’un moteur improvisé fourni par le bras d’un volontaire de l’autre, et la trousse constituée des deux lopins assujettis temporairement par quelques points de soudure à l’arc est enfouie sous une voûte de charbon incandescent !

Au bout de quelques instants l’ensemble outrepasse le rouge cerise (850 degrés) pour atteindre le blanc soudant, la pièce ayant alors la couleur du soleil couchant ! Le métal sue, et sa surface se colore d’un blanc vif presque impossible à regarder !

L’artisan le pose alors prestement sur sa complice passive, l’enclume, et en quelques coups bien ajustés entremêle intimement les deux lopins par le truchement de la fusion et des chocs, le son rendu est clair et sans appel : l’ouvrier travaille autant à l’oreille qu’à l’œil !

De ce parallélépipède sous les bousculades du marteau de 2 kilos ou sous la caresse d’un marteau-pilon, il est rapidement obtenu une plaque. Les coups également répartis et scrupuleusement comptés évitent lors de la trempe à la lame de se tordre.

La matière est exigeante et ne supporte pas la médiocrité : la moindre trace de rouille rendrait la cohésion entre les lopins inopérante et le travail serait gâché par une simple négligence ! La préparation soigneuse des plaques de métal est donc scrupuleusement effectuée, et ce sont des morceaux de métal parfaitement propres et apprêtés qui sont soumis au long travail de forge. Selon le motif désiré (car luxe suprême, un habile artisan peut à l’avance deviner le motif du Damas qu’il va obtenir en comptant le nombre de pliages et de torsions) la plaque est soit encore torsadée sur elle-même ou repliée et soudée à nouveau avant d’être forgée à plat pour obtenir enfin le morceau dans lequel sera tirée la future lame.

La pièce refroidit lentement dans un lit de cendres, puis subit trois opérations de normalisation pour vaincre les tensions internes de la pièce : pour ce faire on chauffe au rouge la pièce et on la laisse refroidir encore une fois lentement ! La forge est une école de patience où il faut pourtant parfois aussi saisir l’instant fugace où certaines opérations sont possibles uniquement à ce moment précis !

Un délicat passage au « back stand » (bande abrasive mue par un moteur électrique) en évitant cette fois de chauffer la pièce et en la refroidissant souvent, ou un patient travail à la lime dégrossit l’arme noire pour en faire une arme blanche et lui donner la forme finale souhaitée ! La trempe à l’eau (ou l’huile) est indispensable pour durcir la lame. Il convient de faire attention à la manière de plonger la lame dans le baquet d’eau et à la température : en effet si on plonge la lame à plat le choc thermique va immanquablement tordre la lame, et une eau trop froide risque de rendre l’acier trop aigre et cassant ! En entendant lors de la brusque plongée un claquement caractéristique et de mauvais aloi on sait que la lame s’est fendue lors de la trempe et tout est à recommencer ! La température du bain de trempe est cruciale, le maître forgeron japonais de lames le plus célèbre ayant jamais œuvré, Goro Nyudo Masamune, est réputé avoir tranché net la main de son apprenti quand il surprit ce dernier plongeant la main dans le bac de trempe pour évaluer la température du bain.

Un revenu au jaune de la lame une fois trempée, lui donne une souplesse acceptable tout en lui conservant un nerf et une rigidité compatible avec la fonction qui est désormais la sienne et qui fera le bonheur du bras qu’elle prolongera ! Un repolissage final de la lame est nécessaire après ce revenu. Une application de perchlorure de fer ou d’acide participe à révéler le dessin du Damas et donne enfin une vision du résultat final car l’acide se régale volontiers du carbone contenu dans l’alliage et dédaigne le minerai de fer, ainsi son action colore en sombre les parties aciérées et laisse intacts et brillants les atomes de fer vierges de carbone !

La lame terminée, notre ami peut maintenant se consacrer à la fabrication de la garde du manche qui peut être montée à soie ou à plate semelle selon l’inspiration du moment ou selon la commande du client. Vient ensuite la fabrication du fourreau. Je vous laisse découvrir ses œuvres exceptionnelles en vagabond maintenant sur les images illustrant cet article. N’hésitez pas à contacter Alain si une envie irrépressible de posséder un de ces chefs d’œuvre devient insupportable !

Gilles Sigro-Peyrousère

Pour contacter Alain Pons : snoppy31220@gmail.com

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    Gilles Sigro-Peyrousère

    Armurier diplômé de l'école de d'Armurerie de Saint-Étienne, Gilles est avant tout un passionné d'histoire, d'armes et de militaria. Armurier à son compte depuis plus de 30 ans, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse en armes anciennes, il expertise de nombreuses collections pour des ventes aux enchères partout en France.

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