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Des Révolvers Espagnols pour l’Angleterre

En 1915, la Grande-Bretagne prise dans la tourmente du 1er conflit mondial doit faire face à la pénurie d’armes portatives qui touche la plupart des belligérants. Les armes de poing manquent cruellement et les militaires Anglais, qui regardent encore avec méfiance les pistolets automatiques, se tournent tout d’abord vers les États-Unis pour acheter de solides revolvers, chambrés en calibre .455. Les firmes Américaines Colt et Smith et Wesson fournissent aux Britanniques plusieurs dizaines de milliers d’armes de poing. Mais les besoins énormes qu’exigent le remplacement des pertes, et la constitution de nouvelles unités, va contraindre les Anglais à se tourner vers l’Espagne pour compléter leur dotation.

À l’origine de ce contrat particulier se trouvent trois grandes sociétés Espagnoles, réunies à Eibar, au sein d’un consortium dirigé par la compagnie Orbea Hermanos. Engagées auprès d’Orbea, Garate, Anitua y Cia et Trocaola, Aranzabal y Cia, constituent alors un groupe industriel important qui compte dans ses rangs les meilleurs fabricants Espagnols de revolvers. Spécialisés dans la fabrication de copies de revolvers Smith & Wesson depuis des années, les fabricants d’Eibar n’ont aucun mal à adapter un de leurs modèles à la cartouche d’ordonnance Anglaise de .455. Contact est donc pris entre le gouvernement Britannique et les manufactures Espagnoles pour la livraison de plusieurs dizaines de milliers de ces armes, suivant un cahier des charges très précis. La commande adressée à Orbea le 6 août 1915 prévoit la livraison de 30 000 revolvers avant la fin du mois de juillet 1916.

Garate, Anitua y Cia

La société Garate, Anitua y Cia d’Eibar est donc l’une des deux firmes, agréées pour la fourniture des revolvers “Old Pattern” (“ancien modèle”, en abrégé OP) aux Anglais. Créé par Manuel Garate au milieu du XIXe siècle, elle est à l’origine de la production de revolvers en Espagne. En digne successeur de son père, Crispin Garate monte en collaboration avec Juan José Larranaga et José Francisco Anitua, la maison Larranaga, Garate y Compania. La fin tragique de Garate, mort lors de la construction des hauts fourneaux de la fabrique, entraîne la dissolution de cette compagnie. Quelques temps après, la société est reconstituée sous le nom de Garate, Anitua y Compania. Sollicitée de toute part pendant la Grande Guerre, elle fournit des milliers de revolvers aux Alliés (dont le révolver « Cordero » détaillé dans l’article en lien ici) ; des armes de bonne qualité, marquées du poinçon à la “lyre” du fabricant d’Eibar.

Le « Pistol OP 5-inch barrel N°1 Mark I »

Cette arme construite chez Garate, Anitua y Cia fait partie des deux types de revolvers livrés à la Grande-Bretagne entre 1915 et 1916. Adopté par décret impérial du 8 novembre 1915, il correspond en tout point au cahier des charges élaboré par les Anglais. Copie fidèle du Smith & Wesson D.A., ce revolver à brisure dispose d’une carcasse en deux parties, articulée autour d’un axe de fortes dimensions placé en avant de la console. La partie supérieure de la carcasse fait corps avec le canon. Un canon de cinq pouces, muni de sept rayures à droite. Le verrouillage, classique sur une arme de ce type, est assuré par une pièce en forme de T qui porte le cran de mire.  Un guidon en demi-lune est goupillé au sommet de la bande qui court tout le long du canon. La poignée en bec de corbin est garnie de plaquettes de crosse commerciales, au monogramme de la firme, qui laissent le fond de la crosse dégagé. La base de cette poignée est munie d’un anneau de suspension. Long de 247 mm pour un poids de 1020 grammes, ce revolver à double action est bronzé intégralement, à l’exception du chien et de la queue de détente qui sont jaspés. Le barillet alvéolé est percé de six chambres destinées à la cartouche réglementaire de .455 Webley.

Les marquages

Ils sont assez nombreux et mêlent étroitement les marques du fabricant aux divers poinçons apposés par l’administration Britannique. Le nom du fabricant figure sur la bande supérieure du canon, où l’on peut lire :

MANUFACTURA ESPECIAL DE REVOLVERS
GARATE ANITUA Y Cia-EIBAR (ESPAÑA)

À droite de la carcasse figure la marque de fabrique de la maison Garate, Anitua y Cia, les initiales GA placées au sein d’une “lyre” entourée de la mention « Marca Registrada ». Les plaquettes de crosse portent entrecroisées les initiales « G A ». Un poinçon de réception figure sur la gauche du busc de la poignée. Le calibre accompagné de divers poinçons d’épreuves est frappé sous le canon. Sur la gauche de la carcasse, au-dessus du barillet se trouvent deux drapeaux entrecroisés, poinçon de l’arsenal d’Enfield.

TROCAOLA ARANZABAL Y CIA

Fondée en 1875 par les frères Hilario et José Antonio Aranzabal associés à Venancio Trocaola, la fabrique d’armes Trocaola y Aranzabal se spécialise d’abord dans la production de copies de revolvers Colt et Smith & Wesson.Très active au début du XXe siècle, Trocaola y Aranzabal est l’entreprise d’Eibar qui exporte le plus à l’étranger. Pendant la Grande Guerre, la société est sollicitée par les représentants de plusieurs belligérants. Les commandes de ses revolvers militaires, employés par plusieurs armées étrangères, atteignent près de 200 000 exemplaires de formes et de calibres divers.

Le « Pistol OP 5-inch barrel N°2 Mark I”

Cette arme est très proche du revolver de Garate, Anitua y Cia qui est livré aux Anglais entre 1915 et 1916. Fabriqué par Trocaola, Aranzabal y Cia, il est adopté en même temps sous le nom de “Pistol OP N°2 MKI”. Peu de choses différencient les deux armes à l’exception des marquages et des plaquettes de crosse en noyer quadrillées qui habillaient toute la crosse sur le revolver de la firme Trocaola, Aranzabal y Cia.

Les marquages

Là encore ils sont nombreux et mêlent les marques du fabricant aux poinçons et marquages de l’administration Britannique. Le nom du fabricant figure sur la bande supérieure du canon :

FA TROCAOLA ARANZABAL Y Cia EIBAR (ESPAÑA)

À droite de la carcasse figure la marque de fabrique, un monogramme où se superposent les lettres TAC encadrées par la mention « Trade Mark ». Les plaquettes de crosse en bois sont parfois remplacées par des plaquettes empruntées aux stocks d’armes commerciales. Dans ce cas elles portent généralement le millésime 1914. Les poinçons de contrôle et la mention du calibre figurent là encore sur le côté droit de la console, en avant du barillet.

La munition

Adoptée par l’Angleterre en 1897, sous le nom de .455 Mk II, la cartouche réglementaire Britannique utilisée durant le Ier conflit mondial fait suite à la Mk I cordite, adoptée en 1891 et chargée pour la première fois à poudre sans fumée en 1894. La .455 Webley Mk II a connue des fortunes diverses : elle est abandonnée une première fois en 1898, au profit d’une cartouche à balle cylindrique à pointe creuse (donc expansive), la .455 Mk III. Mais un an plus tard (1899), la première Conférence de la Haye interdisant l’emploi de cartouches utilisant des balles expansives, la Mk II est réintroduite en 1900. Elle disparaît à nouveau lors de l’adoption de la Mk IV à balle cylindrique à tête plate en décembre 1912. Cette nouvelle munition, prétendument conforme aux décisions de la Conférence de la Haye, sera elle-même remplacée de façon très éphémère par une munition similaire, la Mk V, mais dont le projectile sera réalisé en alliage de plomb plus dur. Finalement, la .455 Mk II réapparaît en novembre 1914. Cette cartouche, employée jusqu’en 1939, est constituée d’un étui droit à bourrelet, en laiton, à amorçage Berdan. Long de 18,9 mm (celui de la Mk I était long de 22,5 mm), l’étui est coiffé par une ogive en plomb cylindro-ogivale, d’un diamètre réel de 11,52 mm. Propulsée par 0,48 grammes de Cordite la balle atteint une vitesse de 183 m/s.

Bilan

En un an, le consortium Espagnol parvient tout juste à fournir 29 558 revolvers en calibre .455 à l’armée Britannique. Mais le pourcentage des armes refusées lors des contrôles effectués à l’arsenal d’Enfield est très élevé. C’est par courrier que les fabricants Espagnols sont informés, le 19 mai 1916, qu’aucun de leurs revolvers ne serait plus accepté après le 31 juillet. Les armes livrées, n’ayant pas été inspectées à cette date, ne seront acceptées que si elles passent l’inspection en première intention. Aucune réparation ne sera admise.

Les difficultés rencontrées dans cette affaire par les armuriers Espagnols sont essentiellement liées à la notion de “production de guerre” qui diverge suivant les points de vue. Pour les Espagnols, qui produisent des armes correctes et de bonne qualité, quelques variations de tolérances dans la fabrication sont tout à fait admissibles. Les Anglais eux, exigent de leurs fournisseurs une qualité parfaite, digne des meilleurs revolvers civils et militaires de l’époque…

Surpris par tant d’exigences, dans cette période où la plupart des acheteurs privilégient la quantité à la qualité, les fabricants d’Eibar tentent de limiter les dégâts en renforçant les contrôles au sein de leur outil de production. Mais malgré tous les soins apportés à ces armes ; en mars 1916 il reste en Grande-Bretagne 6 000 revolvers dont l’armée ne veut pas.

Les compagnies Espagnoles retirent alors ces armes d’Angleterre, pour les revendre à des acheteurs moins exigeants. Certains revolvers partent pour l’Italie, d’autres sont négociés sur le marché civil Anglais, à destination des officiers de sa très gracieuse Majesté. La maison Orbea, à l’origine de la construction de cette arme pour les Britanniques ne participe pas au contrat Anglais. Sa production de revolvers à brisure est orientée vers l’Italie, à laquelle elle livre des revolvers identiques, chambrés en 10,35 mm, via les firmes Italiennes Tettoni et Solari…

Quelques années après la fin de la guerre, le 15 novembre 1921, l’Angleterre déclassera les revolvers Espagnols “Old Pattern”. Déclarés obsolètes ils seront retirés du service.

Texte et photos Jean-Pierre Bastié

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SOURCES :

« Pistolets et revolvers basques 1900-2000 », par Jean-Pierre Bastié et Daniel Casanova, éditions Mémorabilia 2021

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    Jean-Pierre Bastié

    Né en 1957, Jean-Pierre Bastié a eu sa première arme à l’âge de 12 ans, une carabine Diana à air comprimé avec laquelle il a tiré ses premiers cartons. Depuis son intérêt pour les armes n’a pas cessé. Il a été successivement chasseur, tireur, compétiteur aux armes anciennes puis collectionneur avant de fonder l’Académie des Armes Anciennes en 1987.
    Il collabore depuis plus de trente ans avec les rédactions de diverses revues françaises et étrangères spécialisées dans le domaine des armes. Chercheur infatigable il écume les archives (comme celles de Châtellerault, visible sur sa photo de présentation) depuis des lustres à la recherche de sources inédites.

    Jean-Pierre Bastié est également Président de l'Union Française des amateurs d'Armes (UFA) et Expert en Armes Ancienne auprès de la Cour d'Appel de Toulouse.


    http://www.academie-des-armes-anciennes.com/

    https://www.armes-ufa.com/

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