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Un souvenir du SMS Goeben ou du SMS Breslau

Durant la guerre balkanique de 1912 entre la Turquie et la Bulgarie, une force maritime internationale fut créée afin de protéger les intérêts des puissances occidentales dans le détroit des Dardanelles. Le Kaiser envoya sous les ordres de l’Amiral Wilhelm Souchon deux bâtiments de la marine impériale, le croiseur léger SMS Breslau et le tout nouveau croiseur de bataille SMS Goeben, qui n’était pas alors complétement achevé. Les deux navires constituant la « Division de la Méditerranée » (Mittelmeerdivision) quittèrent l’Allemagne le 5 et le 6 novembre 1912.

Le canonnage de Bône et de Philippeville

Piégés par la déclaration de guerre du 2 Août 1914, et sans consignes précises (les communications de l’époque étant très différentes de celles d’aujourd’hui !), les deux navires décident d’aller perturber le passage des troupes Françaises d’Algérie devant se rendre en Europe en allant bombarder les installations portuaires et les entrepôts de Bône et de Philippeville (Algérie alors Française). L’ordre suivant fut donné le 3 août dans la matinée :

  1. Prendre toute disposition pour pouvoir couler les bâtiments afin qu’ils ne tombent en aucun cas aux mains de l’ennemi.
  2. Pour les renseignements sur l’ennemi, voir les nouvelles reçues hier par T.S.F.
  3. Mission : Inquiéter l’ennemi, l’attaquer selon les possibilités sur la côte d’Algérie et sur la ligne de communication Bizerte-Toulon, pour l’empêcher de transporter ses troupes en France sans prendre de grosses mesures de précaution.
  4. Exécution : Demain, au jour (04h30), le Goeben se trouvera devant Philippeville, le Breslau devant Bône. Ils reconnaîtront d’abord sous pavillon Russe, ce qui se trouve dans chacun de ses ports. Ils essaieront ensuite, après avoir hissé le pavillon Allemand de détruire au canon ou, éventuellement à la torpille, les bâtiments de guerre ennemis, les transports de troupes, et les installations pouvant servir à ces transports. Économiser les munitions, ne pas s’engager contre les ouvrages à terre. Faire route à l’ouest jusqu’à sortir de la vue de la côte puis rallier en direction de Spartivento (Sardaigne).

Signé : Souchon.

Le 4 août à 6 heures, le Goeben commandé par le capitaine de corvette (Kapitän zur See) Richard Ackermann se présenta devant Philippeville en retard sur l’horaire à cause du trafic sortant du port. À 06h08, il canonna pendant 10 minutes les installations du port avec des obus explosifs de 15 cm. Puis s’éloigna vers l’ouest avant de faire route au nord-est dès que la côte fut perdue de vue.

Le Breslau, commandé par le capitaine de frégate (Fregattenkapitän) Kettner, ouvrit le feu sur plusieurs vapeurs à quai, puis bombarda un sémaphore. Des incendies et des explosions furent observés à Bône, et les troupes indigènes eurent à subir des pertes à Philippeville. Les stations T.S.F. à terre annoncèrent rapidement la nouvelle. Aussi le vice-amiral Français Boué de Lapeyrère dirigea-t-il toute son escadre plein ouest pour aller protéger Oran et Alger, ce qui permit aux deux navires de s’échapper tout en ayant désorganisé les transports du XIXème corps d’armée Français.

La fuite

Un message reçu le 4 août à 02h35 leur indiqua :

« 3 Août, alliance conclue avec Turquie, ordre à Goeben et Breslau de gagner immédiatement Constantinople. État-major général. ».

Cette décision était la plus sage à prendre dans les circonstances du moment, car la disproportion des forces était écrasante, et le passage de Gibraltar illusoire pour rejoindre l’Allemagne. En effet, les alliées pouvaient aligner 15 cuirassés, 3 croiseurs de bataille, de nombreux croiseurs, cuirassés et croiseurs légers, 8 flottilles de destroyers, des sous-marins et des navires spéciaux. La maigre escadre Allemande ne pouvait compter que sur sa vitesse énorme pour l’époque puisque à pleine vapeur le Goeben pouvait espérer filer à 24 nœuds (44 km/h), mais avec toutefois une consommation excessive de charbon. Les deux navires gagnèrent Messine (Sicile, Italie) suivis par la flotte Britannique, et là purent embarquer le combustible nécessaire en prélevant le stock de charbon des vapeurs commerciaux Allemands, le Général, le Mudros, le Kettenturm, l’Ambria et le Barcelona providentiellement au mouillage dans le port. Les équipages furent complétés en embarquant les marins civils Allemands mobilisables ainsi que des réservistes et des engagés volontaires pour la durée de la guerre.

Les deux fuyards parvinrent à tromper la surveillance Britannique, et à la faveur de la nuit purent encore s’échapper. Un bref combat fut engagé entre le croiseur léger HMS Gloucester et le SMS Breslau. Selon les sources, soit le Breslau encaissa un coup sans gravité (version rencontrée sur diverses sources internet lors de nos recherches en décembre 2022), soit celui-ci infligea 4 coups au but au Gloucester à 13 000 m (version reportée dans l’ouvrage « Le Goeben et le Breslau », publié en 1930 chez Payot, Paris). Si le tir à de pareilles distances, sur une plate-forme soumise au roulis et au tangage, paraît exceptionnel aujourd’hui, les engagements à de pareilles distances n’étaient en fait pas rare à cette époque. Quoi qu’il en soit, le Gloucester abandonna la poursuite.

Un vapeur civil de ravitaillement, le Bogadir put compléter en combustible les soutes des navires dans la nuit du 9 au 10 août le long de la côte neutre de la Grèce, puis après avoir embarqué un pilote Turc pour franchir le champ de mines barrant préventivement le détroit d’accès au Bosphore, le Goeben et le Breslau jetèrent l’ancre le 10 août à 17h17 devant le port ami de Çanakkale (Turquie).

Sous pavillon Turc

Devant l’impossibilité de sortir du détroit sans être irrémédiablement détruit par les unités Britanniques en embuscade au-delà du barrage de mines, les deux navires Allemands furent offerts dès le 16 août au gouvernement de la « Sublime porte » en compensation de deux cuirassés commandés en Angleterre presque terminés et que la marine de sa « très gracieuse majesté » avait réquisitionné. Les équipages troquèrent parfois le bâchi aux armes impériales contre le fez réglementaire Turc et le drapeau au croissant de lune fut hissé au mat principal. Un original commandement mixte fut institué : sous commandement Turc pour la manœuvre et Allemand pour le combat. Le 23 septembre 1914, l’amiral Wilhelm Souchon est alors nommé commandant de la flotte de guerre Ottoman. Ainsi, le SMS Goeben devient le Yavuz Sultan Selim (souvent raccourci à « Yavuz ») et le SMS Breslau le Midilli.

Cependant, pour précipiter la Turquie dans le camp des empires centraux, il fallait un prétexte. Le sultan Mehmed V, personnage sans caractère et âgé se vit forcer la main par son Ministre de la Guerre, Enver Pacha, leader du parti « Jeunes-Turc » et germanophile convaincu. Celui-ci organisa un raid de provocation contre l’ennemi de toujours en lançant avec une audace incroyable le Goeben et le Breslau à la tête d’une petite escadre Turque. Au cours de ce raid qui eut lieu le 29 octobre 1914, le Goeben attaqua avec succès la forteresse Russe de Sébastopol malgré le feu des batteries côtières Russes. Le Breslau quant à lui, canonna Novorossiisk : la guerre était déclarée par les Turcs. Ils continuèrent leur maraude dans la mer Noire pendant deux mois en créant une psychose et en désorganisant tout trafic Russe jusqu’au 26 décembre 1914, date à laquelle le Goeben heurta coup sur coup deux mines Russes à l’entrée du Bosphore ce qui l’endommagea et l’immobilisa pour de longs mois.

Pour armer les forts du détroit des Dardanelles, le Goeben céda le :

  • Le 2 mars, 1915 deux canons de 8,8 cm et leurs munitions.
  • Le 9 mars, 200 obus de 15 cm.
  • Le 16 mars 12 mines.
  • Le 20 mars les 20 dernières mines qu’il lui restait.

Il fournira encore 2 canons de 15 cm pour renforcer les défenses de Constantinople.

Le destin des mitrailleuses

La 5e armée Turque avait rendu compte qu’elle manquait presque complètement de mitrailleuses. Le général Allemand Otto Liman von Sanders demanda donc au commandant de la flotte de lui prêter l’appui des siennes. Cette demande fut satisfaite. Des officiers et des hommes du Goeben et du Breslau furent désignés et le 2 mai, l’enseigne de vaisseau (Artillerieoffizier) Wilhelm Boltz, du Breslau partit pour les Dardanelles avec 44 hommes et 8 mitrailleuses. Cette troupe constitua, avec le personnel qui se trouvait déjà à terre pour observer le tir indirect des cuirassés, le détachement à terre de la flotte sous les ordres du capitaine de corvette Rhode. Elle prit une part extrêmement importante à la défense et c’est grâce à son activité que différentes positions furent tenues et les attaques de l’ennemi, repoussées. Bien que les officiers et les hommes n’eussent pas reçu d’instruction spéciale pour l’utilisation des mitrailleuses à terre, ils surent s’adapter en marins débrouillards et actifs. Lorsque le groupe arriva aux Dardanelles, le 3 mai dans l’après-midi, ils reçurent l’ordre de se rendre à Krithia, à la disposition du groupe sud qui combattait à Sedd-Ul-Bahr contre les Anglais et les Français.

Après une marche forcée il arriva vers minuit au quartier général. Lorsqu’il se présenta, Boltz reçut l’ordre d’avancer immédiatement vers Krithia avec ses mitrailleuses, car le combat décisif allait se livrer au cours de la nuit même. Il ne put s’avancer jusque-là à cause du feu extrêmement violent de l’adversaire. Les difficultés dans lesquelles les marins allaient avoir à combattre se révélèrent lorsque le détachement, partagé en deux groupes de quatre mitrailleuses chacun, dut aller occuper d’autres positions. N’ayant aucune connaissance du pays où n’existait aucune route, n’ayant pas de guide Turc, ni d’interprète convenable, les deux factions agirent indépendamment l’une de l’autre et se heurtèrent à des troupes autochtones qui assaillirent le petit groupe le supposant ennemi et le désarmèrent. Ce fut grâce à l’arrivée, tout à fait par hasard d’un officier Allemand au service de la Turquie, que la petite troupe put échapper à sa situation désagréable non sans avoir cependant perdu deux mitrailleuses que les autochtones avaient emmenées. Lorsque le détachement arriva sur le champ de bataille, les troupes Turques, sous l’effet extrêmement violent du feu des navires, étaient en pleine retraite. Les mitrailleuses furent immédiatement mises en batterie. Leur intervention arrêta d’abord les troupes Anglaises et permit ensuite de passer à la contre-attaque en rejetant complètement les assaillants. Au cours de cette première intervention nocturne, la petite troupe subie de lourdes pertes : le combat lui coûta trois morts, et sept blessés ; une mitrailleuse fut mise hors service par un shrapnel.

Le 7 mai, à 11h00, un tir particulièrement violent d’obus de tous calibre et de shrapnel des navires servit de préparation à un assaut. W. Boltz décrit ainsi cet assaut :

« en colonnes épaisses, toujours par pelotons de 50 à 60 hommes, ils s’avançaient courageusement, offrant une cible parfaite à l’artillerie turque et à nos mitrailleuses. Des rangs entiers tombaient, mais toujours de nouvelles colonnes repartaient à l’assaut. Lorsque nos mitrailleuses eurent épuisé leurs munitions, les hommes prirent les fusils des tués Turcs et continuèrent à tirer. L’attaque ne fut repoussée que vers 17 heures, l’ennemi dut subir d’énormes pertes en cet endroit. Les pantalons et les képis rouges des Français offraient des cibles excellentes. »

Il est remarquable de constater que si l’officier Allemand ne brode pas, nos troupes étaient encore équipées du très visible, remarquable et déplorable pantalon rouge en mai 1915 !

Le commandant de la 3e division Turque plaça également toutes les mitrailleuses Turques sous l’autorité de W. Boltz. Il devait aller prendre position, le 7 mai, au soir sur le Kérévés Déré, avec celles-ci qui étaient au nombre de 11.

Le 8 mai la flotte ennemie soumit les positions Turques à un très violent bombardement qui dura de 9 heures du matin à 16 heures. L’attaque ennemie se produisit alors et, la première fois elle fut arrêtée net. Par suite d’une blessure au pied, Boltz avait dû passer le commandement au maître artificier Schubert. Celui-ci fut blessé deux fois à la tête ; le commandement passa alors au second-maître de manœuvre Seckendorf. La situation devint critique. Boltz décida donc de reprendre le commandement malgré sa blessure. Il arriva vers 17 heures, juste au moment où partait une deuxième et très violente attaque des Anglais, à laquelle l’aile gauche des Turcs, où se trouvaient les mitrailleuses, résista bien. Comme ils allaient passer à la contre-attaque et que les baïonnettes étaient déjà mises au canon des fusils, l’aile droite céda et reflua en arrière entraînant l’aile gauche avec elle. Le détachement Allemand considéra que sa mission principale consistait à demeurer sur place et à couvrir la retraite Turque.

En conséquence, les Allemands demeurèrent fermes dans leurs positions en continuant à tirer. Lorsque Boltz se vit finalement obligé de se replier, il ne lui fut plus possible d’emporter toutes ses mitrailleuses, car beaucoup d’Allemands étaient déjà tombés et les Turcs du détachement s’étaient déjà repliés. Trois mitrailleuses furent donc abandonnées après que les culasses eurent été enlevées (point important pour la suite de notre histoire !). Dans la nuit les Turcs refoulèrent les Anglais ; aussi une patrouille put-elle le lendemain chercher à sauver les armes abandonnées. La position était complètement bouleversée ; une mitrailleuse fut retrouvée complètement démolie ; il est probable que les deux autres se trouvaient sous les décombres. De tout le détachement débarqué le 2 mai, il ne restait plus que 7 hommes en état de combattre, tous les autres avaient été mis hors de combat par des blessures ou des maladies.

Vu du côté Français, la composition de la troupe Allemande est décrite de la manière suivante dans la revue hebdomadaire le panorama de la guerre :

« Parmi les soldats ennemis capturés se trouvent six Allemands faisant partie d’une compagnie de mitrailleuses. Cette compagnie qui a perdu dans l’action les deux tiers de ses pièces, un de ses officiers et presque tous ses hommes, se composait exclusivement d’allemands. Les uns étaient des marins débarqués du Goeben et du Breslau, d’autres des sujets Prussiens habitants la Turquie et mobilisables sur place ; d’autres enfin étaient venus de leur pays par l’Autriche et la Bulgarie. »

Une mitrailleuse MG 08

Le général Français Albert d’Amade, malade et surtout démoralisé par la mort de son fils Gérard d’Amade le 26 janvier 1915, à l’âge de 19 ans sur le front de Verdun (pas la bataille du même nom, qui eut lieu plus tard au même endroit) et l’enlisement de l’offensive, fut remplacé à la tête du détachement Français dans les Dardanelles par le général Gouraud le 15 mai 1915. Lors de la cérémonie d’adieux, l’état-major Anglais lui fit présent d’une mitrailleuse « Turque » prise la veille par leurs troupes.

Le général ramena son souvenir en France, souvenir qui se trouvait encore dans le grenier de son château de Saint-Étienne de Tulmont dans le Tarn-et-Garonne au milieu des années 90. À cette époque, il me fut possible de récupérer par l’intermédiaire de la légion de gendarmerie de Midi-Pyrénées, ce prestigieux mais désormais encombrant vestige pour des héritiers soucieux de respecter la législation régissant la détention des mitrailleuses dans l’hexagone. Après un dévastateur mais nécessaire passage au banc d’épreuve de Saint-Étienne, où l’arme fut mise en conformité avec la loi en étant neutralisée, et où au passage elle « perdit » sa tête de culasse (dérobée par un indélicat ou égarée lors du transport ?), la vénérable mitrailleuse put enfin aspirer à une retraite pacifique en trônant dans une vitrine.

L’arme, numéro 820, fut fabriquée par la prestigieuse Deutche Waffen und Munitionsfabriken (D.W.M.) à Berlin en 1910 comme en atteste le superbe marquage sur le carter de protection du ressort de régulation de cadence. Elle fut réceptionnée par la Marine impériale Allemande et comme de juste frappée en divers endroits d’un splendide « M » couronné de la spécifique couronne de la marine. Ce petit poinçon la classe, vu son histoire, comme une des mitrailleuses débarquées d’un des deux navires Allemands présent dans le détroit à cette époque et lui confère par la même, le rang de relique historique ! Le couvercle de la boîte de culasse est gravé « 8 MM MACH.GEW.1908 » ce qui aide s’il en était besoin à classifier l’arme comme réglementaire Allemande, l’armée Turque elle, utilisant principalement une cartouche calibre 7,65×54 Mauser.

La mitrailleuse en usage à bord des bâtiments de la flotte est en effet différente des modèles de l’armée de terre. Adoptée en 1908 en remplacement du modèle commercial à carter en bronze, la mitrailleuse de marine Maxim 1908 fut aussi utilisée par les troupes coloniales Allemandes défendant les possessions du Reich en Afrique, en Papouasie- Nouvelle Guinée ou le port de Tsingtao dans la péninsule de Shantung en Chine…un port bien connu des amateurs de bières Chinoises ! La principale différence rapidement visible avec le modèle de l’armée de terre réside dans l’absence des deux tenons de fixation de l’affût qui font saillie à l’avant de la boîte de culasse sur le carter de refroidissement du canon. En effet, l’affût spécifique de la version marine (absent sur l’arme du général) se fixe dans deux trous débouchant de part en part à l’extrémité avant et au-dessous de la boîte de culasse et s’assujettit par deux clavettes à démontage rapide ; ce dispositif permettant certainement de mettre l’arme en batterie avec un simple berceau de montage sur le bastingage des navires pour repousser des abordages.

Il fut écrit que durant la seconde bataille de « Krithia » le général d’Amade commandait une force combinée, composée de la 1ere division Française (une brigade coloniale et une brigade métropolitaine à six bataillons chacune) et de la 2eme brigade navale Britannique formée elle des bataillons Hood, Howe et Anson de la division royale. La bataille commença le 6 mai 1915, ce même jour, le bataillon Hood captura une mitrailleuse Turque en prenant d’assaut une position ennemie connue sous le nom de « maison blanche ». Cette prise de guerre fut offerte par le bataillon Hood au général lorsqu’il leur rendit visite à l’arrière dans un camp de repos le 14 mai 1915 quatre jours après la fin de la bataille.

Curieusement, la culasse et le couloir d’alimentation qui sont montés sur cette arme sont conformes au modèle, mais portent (« portait » pour la culasse) le numéro 817A et le poinçon de la marine. Cela semble indiquer :

  • Soit un remontage de circonstance à partir d’une autre arme précédemment récupérée, l’objet ayant été complété dans un but de présent de prestige par les Anglais. Cette hypothèse nous paraît peu probable, le rapport cité plus haut faisant mention de la capture d’une seule mitrailleuse.
  • Soit une réparation de circonstance effectuée par les marins Allemands en ‘‘cannibalisant’’ une autre de leur arme de bord.

Il est très intéressant de constater que les numéros de l’arme, de la culasse d’une part et du couloir d’alimentation d’autre part, sont très proches : il est vraisemblable que la D.W.M. livrait des lots d’armes fabriqués spécialement pour honorer la commande faite pour chaque bâtiment, dont les numéros de séries devaient se suivre. Cependant, il ne peut s’agir d’une des trois culasses retirées sur les armes abandonnées le 8 mai par l’enseigne de vaisseau Boltz, l’arme du général ayant été prise le 6 mai. On note au passage qu’à la fabrication, les mitrailleuses MG 08 possédaient plusieurs culasses dans leurs unités collectives, ce qui explique l’adjonction d’un affixe (A, B…) au numéro de série présent sur cette pièce.

Il y a peu de photographies d’époque connues montrant ce type d’équipement sur un navire, toutefois, la compagnie de débarquement du prestigieux croiseurléger SMS Emden était armée des quatre mitrailleuses du bâtiment lorsqu’elle débarqua dans l’archipel des Keeling sur la côte ouest de l’Australie pour détruire la station radio et le câble sous-marin. Surpris par le croiseur Australien HMAS Sydney le navire Allemand succomba après un combat épique. Trois officiers, six sous-officiers et quarante et un hommes d’équipage qui étaient sur l’île purent avec un petit voilier trouvé sur place, l’Ayesha, gagner en quelques mois (9 novembre 1914 – 6 mai 1915) la côte du Yemen et rejoindre les troupes Turco-Allemandes en Palestine ! Ils étaient commandés par le lieutenant de vaisseau Hellmuth von Mücke. Celui-ci décrivit leur épopée, et parle du grand secours que leur procura la puissance de feu de leur armement tant sur mer que pour affronter les bédouins hostiles dans leur traversée du désert. La photographie qu’il prit sur les Keeling montre clairement l’affût tripode et sa fixation sous l’arme.

En conclusion

Les terribles ravages causés par les « faucheuses » traumatisèrent une génération entière de sacrifiés et marquèrent durablement l’inconscient collectif, certains auteurs sulfureux n’hésitant pas dans les années trente à les évoquer dans d’étranges poèmes « ô mitrailleuses si souvent caressées en rêve… ». Hélas, en Europe, le sinistre aboiement de ces machines retentit de nouveau à l’Est comme un funeste présage !

Le SMS Goeben invaincu se rendit aux alliés en 1918, puis repris du service dans la marine Turque sous son nom Turc .Il fut retiré du service en 1961 puis ferraillé en 1973.

Le SMS Breslau sauta sur des mines et coula le 20 janvier 1918 au large de l’île d’Imbros sous les ordres du capitaine de vaisseau von Hippel. 162 hommes furent recueillis par des bâtiments Anglais.

Gilles Sigro-Peyrousère

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Bibliographie :

  • Le « Goeben » et le « Breslau ». L’échappée du Goeben et du Breslau, les opérations navales des Dardanelles, le combat d’Imbros. Payot Paris 1930.
  • La Première Guerre mondiale. Susan Everett. Solar.
  • Le panorama de la guerre de 1914-15. Jules Tallandier. Paris 1915
  • The devil’s paintbrush. Sir Hiram Maxim’s gun. Dolf L. Goldsmith. Collector Grade Publications Incorporated.
  • L’équipage de l’Ayesha, aventure des rescapés de l’Emden. Lieutenant de vaisseau H. von Mücke. Payot, Paris 1929.
  • Collection personnelle de documents et d’objets. Merci à Christophe Dutrone pour son aide.
  • Photos de la remise de la mitrailleuse, crédit Imperial War Museum. Référence : Q 61092.
  • Photo 01 et 02 issues de Wikipédia (Allemand), copyright Bundesarchiv.
  • Photo 16 : https://www.pressreader.com/uk/iron-cross/20201223/282797834094098

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    Gilles Sigro-Peyrousère

    Armurier diplômé de l'école de d'Armurerie de Saint-Étienne, Gilles est avant tout un passionné d'histoire, d'armes et de militaria. Armurier à son compte depuis plus de 30 ans, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse en armes anciennes, il expertise de nombreuses collections pour des ventes aux enchères partout en France.

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