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Des Smith & Wesson pour le Gouvernement de Défense Nationale

Le 18 juillet 1870, veille du déclenchement de la guerre franco-prussienne, l’agence parisienne de la société C.W. MAY C° de New-York commande chez Smith & Wesson 1 000 revolvers N°2. Une énorme commande, mais les circonstances sont favorables aux affairistes. La guerre commence demain et l’armée française n’a pas d’arme de poing moderne pour équiper ses combattants.

Lorsqu’il prend le pouvoir quelques semaines plus tard, après la chute du second Empire, le gouvernement de la Défense nationale doit importer de l’étranger une quantité considérable d’armes portatives. Le pays est exsangue, les armes font défaut, et les manufactures ne peuvent à elles seules fournir les armes destinées à équiper les troupes levées en province.

La plupart de ces armes arrivent par la mer, d’Angleterre et des États-Unis, transportées par des navires qui amènent en France des milliers de fusils, de mousquetons, de carabines et de revolvers. Des revolvers Colt, Starr et Remington pour l’essentiel mais aussi quelques milliers de Smith & Wesson N°2.

Douze ans après l’adoption du revolver Lefaucheux par la Royale (nom donnée à la marine française), l’armée française utilise encore des armes à percussion. Elle a pourtant testé à plusieurs reprises divers modèles de revolvers, mais aucune arme n’a trouvé grâce à ses yeux, ni le revolver Eyraud, ni le revolver Chamelot-Delvigne, ni le Galand, ni le Guerriero italien à barillet basculant.

En 1870, quelques centaines de Perrin sont en dotation dans les corps lorsque débutent les hostilités. Le choix s’est arrêté sur ce modèle quelques mois plus tôt, mais faute de temps l’arme n’a pas pu être mise en fabrication dans les manufactures de l’État.

En conséquence, face à l’urgence de la situation, le 30 juillet 1870, l’Empereur alloue à chaque officier de l’armée du Rhin la somme de 60 Francs afin qu’il puisse acquérir revolver et munitions. Pour le reste, à l’exception de certains officiers qui ont pu acheter des armes sur leur solde, toute l’armée part en campagne avec des pistolets dont la conception remonte déjà à une bonne quarantaine d’années. Cette survivance des pistolets à percussion dans les corps est considérée comme une incongruité par la plupart des soldats et des cavaliers en particulier qui n’hésitent pas à dire tout haut que “Le pistolet perdu dans la fonte, sous le paquetage n’est d’aucune ressource…”

Il est bien rare de voir ces armes se distinguer au combat, seul le rapport du capitaine Frédéric Nicolas Oster, commandant une batterie à Gravelotte, évoque l’usage de cette arme par un de ses conducteurs qui fit usage de son pistolet pendant l’action, et parvint à abattre un lieutenant des cuirassiers blancs.

Des revolvers pour la France

À la fin de l’année 1870, le sort des pistolets est réglé de façon définitive et ce sont des revolvers que le gouvernement de la défense nationale achète pour l’armée. Les sources d’approvisionnement sont très variées ce qui explique la diversité des modèles employés sur le terrain. La plupart des armes disponibles sur le marché intérieur ont déjà été achetées par les officiers, et la Belgique livre par des voies détournées, tout ce qu’elle peut expédier sur le territoire français. Mais l’essentiel des armes de poing de la Défense nationale arrive des États-Unis, expédiés par Steamers de New York, où Remington parvient à rassembler 73 060 revolvers et 14 879 246 cartouches pour le compte des Français. La plupart de ces armes sont des revolvers à percussion, surplus de la guerre de Sécession, rachetés au gouvernement fédéral par les grossistes New-Yorkais. Dans les caisses venues des U.S.A. ces armes voisinent avec plusieurs milliers d’armes à cartouches métalliques, des Remington à barillets interchangeables pour l’essentiel, et quelques 3 167 Smith & Wesson N°2.

Les premiers Smith & Wesson, 2 000 au total, arrivent à Brest le 17 octobre 1870. Embarqués à New York sur le vaisseau de ligne Ville de Paris, ils sont rapidement distribués, et une seconde livraison portant sur 900 revolvers N°2, est débarquée du paquebot Lafayette le 30 novembre 1870.

Le 3 janvier 1871, 199 revolvers supplémentaires sont déchargés à Brest, probablement du Concordia, premier steamer d’une flottille de quatre navires affrétés directement par Remington.

Le Smith & Wesson N°2

Créé en 1861, à la veille de la guerre civile américaine, cette arme au succès considérable sera produite, en quelques années, à 77 155 exemplaires.

L’idée d’une arme de gros calibre, développée à partir du revolver N°1 de la firme était déjà dans l’air depuis longtemps chez Smith & Wesson, mais les difficultés rencontrées lors de la mise au point des cartouches ralentirent son développement. La maitrise de la fabrication des munitions à percussion annulaire était loin d’être parfaite avec les cartouches de .22, la poudre d’amorçage se répandait parfois dans l’étui, causant de multiples incidents de tir.

Daniel B. Wesson trouva la solution en 1860, en faisant tourner l’étui pendant l’amorçage, afin de répartir de façon homogène le fulminate de mercure dans le bourrelet, sous l’effet de la force centrifuge. Restait alors le problème du recul, qui écrasait souvent le culot de l’étui, interdisant la libre rotation du barillet. Un bouclier renforcé, breveté en 1859, fut la solution au problème.

Ces diverses améliorations apportées au dessin de l’arme et à la réalisation des munitions permirent à Smith et Wesson d’envisager enfin la création d’une arme de “gros” calibre.

Lancé au début de la guerre de Sécession, sous le nom de N°2 Army, ce nouveau revolver conserve l’aspect général des armes qui l’ont précédé. Le numéro est lié à l’appellation de la nouvelle cartouche de calibre .32 et la référence à l’armée est un appel du pied vers les militaires, que Smith & Wesson pense pouvoir intéresser à leur revolver.

Chambré pour la cartouche de .32 RF, ce revolver fonctionne en simple action, et dispose d’une capacité de six coups. Le barillet foré de part en part, protégé par le brevet Rollin White, est verrouillé par un ressort à lame, placé au sommet de la carcasse. Le canon à pans, d’une longueur de cinq ou six pouces, est surmonté d’une bande sur laquelle est placé un guidon en laiton en forme de demi-lune. Ce guidon s’inscrit en arrière dans un cran de mire en V, taillé sur le ressort de l’arrêtoir de barillet. Les plaquettes de crosse sont en palissandre, fixées par une vis traversière prise dans deux rosettes en laiton.

Le revolver N°2 appartient à la génération des “Tip up”, il s’ouvre vers le haut, lorsque l’on appuie sur le verrou placé‚ sous la console. Cette opération nécessite l’emploi des deux mains et le barillet doit être retiré, pour les opérations de chargement et de déchargement.

Long de 290 mm pour un poids 660 grammes, le Smith & Wesson N°2 va connaitre quelques variantes en cours de production. Sur les premières armes, la lame bifide qui fait office d’arrêtoir de barillet est maintenue par deux goupilles (ces armes n’existent qu’en 5 et 6 pouces). Après une première tranche de 3 000 exemplaires, les N° 2 seront renforcés et munis d’une troisième goupille (ces armes existent en 4, 5 et 6 pouces).    

Les marquages

L’arrête du canon porte sur une ligne, le nom et la localisation du fabricant :

SMITH & WESSON SPRINGFIELD MASS.

Les marquages qui figurent sur le pourtour du barillet rappellent les différents brevets employés pour la conception du revolver N°2:

PATENTED APRIL 3. 1855 JULY 5. 1859 & DEC 18. 1860

Le numéro de série est frappé sous le talon de crosse et sur une des plaquettes ; un numéro d’assemblage est apposé sur la face avant et arrière du barillet, sur la face arrière du bloc-canon et presque toujours sur le cadre de la poignée.

La munition

L’arme chambre la cartouche S & W N°2 de calibre .32. Une cartouche à percussion annulaire munie d’un étui en cuivre rouge, chargé à 0,80 gramme de poudre noire et coiffée d’un projectile en plomb, cylindro-ogivale, d’un poids de 5,4 grammes.

Les S & W du gouvernement de la Défense nationale

Il n’y a pas de documents connus sur l’usage des S & W N°2 en France pendant la guerre de 70. Mais l’iconographie du temps présente quelques officiers portant à la ceinture des armes de ce type. Les archives de la guerre conservent par ailleurs un certain nombre de rapports, établis à la fin du conflit, par des officiers d’infanterie et de cavalerie interrogés sur les armes de poing utilisées pendant la guerre.

Les revolvers à cartouches métalliques les plus employés au combat par les militaires français furent les revolvers Lefaucheux, Galand, Tranter, Perrin, Spirlet et Smith & Wesson. Dans leurs rapports rédigés en 1871, deux officiers, le Lieutenant-Colonel Croux et le Capitaine Reste nous livrent quelques-unes de leurs réflexions sur l’emploi de ce dernier : « Ce revolver présente toutes les garanties que l’on doit désirer. Il est à simple mouvement, condition indispensable pour une arme de guerre…Sa solidité est suffisante et son poids n’est pas considérable. La forme et les dimensions de la crosse sont telles qu’il est parfaitement en main et qu’aucun mouvement de la main n’est nécessaire pour le maintenir ».

Ces deux officiers qui ont pu apprécier les avantages et les inconvénients du N°2, ne lui reprochent que son mode d’approvisionnement, qui contraint le tireur à déposer le barillet pour charger et décharger le revolver, et l’étroitesse de son cran de mire.

À la lecture de ces documents on peut s’étonner de leur enthousiasme pour le Smith & Wesson N°2, un enthousiasme teinté d’une certaine complaisance. Mais pour ces officiers partis en guerre, sous l’Empire, avec d’anciens pistolets à percussion, l’achat de revolvers modernes par le gouvernement de la Défense nationale représentait, dans les premiers mois de l’année 1871, une petite lueur d’espoir dans la grisaille d’une défaite annoncée.

Entre le 12 avril et le 26 mai 1871, les derniers Smith & Wesson acheminés vers la France, 68 au total, furent délivrés à l’arsenal de Bordeaux par le ministère de l’Intérieur. Arrivés d’Amérique après la fin du conflit, ces armes n’entrèrent jamais en dotation.

Texte et photos Jean-Pierre Bastié

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Sources :

S.H.A.T. à Vincennes

« Le Smith & Wesson N°3 » par Jean-Pierre Bastié et Daniel Casanova, éditions FG/Crépin-Leblond 1989

« La guerre de 70 » par F. Roth

1870 Feuilles de route par Paul Déroulède, Paris 1907

Rapport sur les dépenses de la mobilisation des gardes nationales, par H. Durangel, Paris 1877

Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les actes du gouvernement de la Défense Nationale, Versailles 1873

Caractéristiques techniques

Fabricant : Smith & Wesson Springfield Mass. U.S.A
Modèle : N° 2 Army
Type : Revolver à percussion annulaire
Système de fonctionnement : Simple action
Calibre : .32 (8 mm)
Capacité : 6 coups
Longueur totale : 290 mm
Longueur du canon : 4, 5 et 6 pouces (10,16 cm, 12,7 cm et 15,24 cm)
Poids : 660 grammes
Finition : Bronzé, plaquettes de crosse lisses en palissandre.

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    Jean-Pierre Bastié

    Né en 1957, Jean-Pierre Bastié a eu sa première arme à l’âge de 12 ans, une carabine Diana à air comprimé avec laquelle il a tiré ses premiers cartons. Depuis son intérêt pour les armes n’a pas cessé. Il a été successivement chasseur, tireur, compétiteur aux armes anciennes puis collectionneur avant de fonder l’Académie des Armes Anciennes en 1987.
    Il collabore depuis plus de trente ans avec les rédactions de diverses revues françaises et étrangères spécialisées dans le domaine des armes. Chercheur infatigable il écume les archives (comme celles de Châtellerault, visible sur sa photo de présentation) depuis des lustres à la recherche de sources inédites.

    Jean-Pierre Bastié est également Président de l'Union Française des amateurs d'Armes (UFA) et Expert en Armes Ancienne auprès de la Cour d'Appel de Toulouse.


    http://www.academie-des-armes-anciennes.com/

    https://www.armes-ufa.com/

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